Association ‘’Anciens Aérodromes’’
Site Eolys- Aérodrome de Merville-Calonne LFQT
Rue de l’Epinette, 62136 LESTREM-France
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Plou stationnait à 28 kilomètres de là, à Montdidier.
C’était le jour même du déclenchement de
l’offensive allemande à l’ouest.
Le 12 mai, peu après midi, les Breguet du
18
ème
GBA étaient lancés dans la bataille et
décollaient de Montdidier et de Roye. Quelques
gouttes d’eau dans un volcan.
L’histoire de cette mission tragique autour
de Maastricht a été maintes fois racontée, tant par
les rescapés, dans la revue Icare, que par des
historiens de l’aviation, et ce, depuis 1946. Je ne
vais pas recommencer, mais je pense très fort à
tous ces équipages sacrifiés sur la route de
Tongres, par la faute d’une tactique primaire : si à la
rigueur les premiers avions pouvaient espérer
bénéficier de l’effet de surprise (Rivet, du I/54, est
rentré avec un avion intact), les suivants,
échelonnés de 500 en 500 mètres, se faisaient
canarder de plus en plus efficacement. En quelques
minutes, ça a été un massacre ! Il y a eu des
comportements héroïques, des coups de chance et
de malchance. Delattre, le père du bombardement
en vol rasant, s’est délibérément écrasé sur la
colonne des véhicules lorsque ses deux moteurs
ont pris feu.
Dans le groupe parti de Roye, notre avion
celui du S/Lt Legrand était en 5
ème
position sur 7. Le
Cdt. Plou, parti de Montdidier, commandait tout le
dispositif. Attaquant le premier, il avait donné liberté
de manœuvre à tous peu avant d’être abattu.
Chacun pour soi : ça tirait de partout, Allemands et
Français y allaient de leurs balles traçantes. C’était
terrifiant, mais tout est allé extrêmement vite.
Les colonnes de véhicules et de blindés
allemands avaient été « sonnées » à plusieurs
endroits, mais globalement, la Wehrmacht roulait
toujours. Je me souviens des capots orange des
véhicules, qui les faisaient ressembler à des
camions de déménagement. En fait, ça indiquait le
sens de la marche aux avions allemands (on n’en a
pas vu ce jour-là).
Legrand avait un objectif précis, qu’il n’est
pas arrivé à trouver dans cette fournaise. Vraiment,
ça pétaradait de partout. Il a finalement largué ses 8
bombes n’importe où. Il n’était pas possible de
reposer sans casse un Breguet avec sa charge
offensive.
Les équipages du I/54 partis de Montdidier
ont payé le prix fort : deux avions seulement sur
onze sont rentrés, un seul étant réutilisable, celui de
Rivet. Le Breguet de Normand était une vraie
passoire. Les appareils de Blondy et de Gady se
sont posés en catastrophe à Berry-au-Bac et à
Bapaume. Plus que tout, la majorité des pilotes et
des mitrailleurs étaient au tapis, morts, blessés ou
prisonniers. Ces nouvelles, reçues par téléphone,
nous ont littéralement pétrifiés.
Dans le groupe II/54, les avions de Roye,
partis à 7, la casse était moins importante. Le
capitaine Jeunet et son mitrailleur, l’adjudant
Coiffard, ont ramené leur Breguet le ventre déchiré
par le sommet des peupliers. Toutefois, le sergent
Fourdinier, abattu par la flak à Ransbeck, n’a pu
malheureusement libérer son mitrailleur dont la
verrière était bloquée : le lieutenant Michel de La
Porte du Theil est mort carbonisé quand le feu s’est
étendu à tout l’avion. Notre camarade était le fils du
colonel dont j’ai parlé tout au début.
Le 14 mai, le II/54, qui avait subi moins de
pertes, est venu à Montdidier renforcer le I/54
saigné à blanc. Nous sommes remontés au combat
le jour même dans l’après-midi, avec ce qui restait
d’avions disponibles dans les deux groupes.
Contrairement aux certitudes de l’Etat-Major, les
Allemands s’étaient faufilés dans les Ardennes,
entre l’extrémité de la Ligne Maginot et le dos du
gros de l’armée française qui faisait route au nord
pour défendre la Belgique. Ils déferlaient sur
Sedan. Ils allaient si vite que parfois des unités
isolées et coupées de leur commandement se
rendaient à des pelotons motocyclistes éclaireurs
de la Wehrmacht, alors que les panzers étaient
encore loin.
Les objectifs étaient cette fois les ponts sur
la Meuse, Sedan et Monthermé. Mais à nouveau,
faute d’instructions claires et de désignations
précises le S/Lt Legrand n’a pas trouvé la cible qui
lui était assignée : le pont. Il faut dire que seul le
commandant de formation disposait d’une
enveloppe avec le nom des objectifs. Par crainte
maladive de l’espionnage, les missions n’étaient
pas préparées au sol : c’est par radio qu’il
annonçait les objectifs assignés à chacun, à charge
pour eux de se repérer sur la carte ! On avait toutes
les chances de se perdre dans le tumulte de la
bataille.
Nous n’avons pas subi de pertes au II/54 ce
jour-là. Mais deux jours après, nous avons perdu
l’équipage Robineau-Guichon, abattu par la DCA.
Lami et Giard ont été faits prisonniers (Lami, qui
s’évadera et parviendra à nous rejoindre, deviendra
après la guerre pilote de DC3, Caravelle et
Concorde chez Air France, et patron du syndicat
des pilotes de ligne. Il est resté un ami très proche).
A partir de cette date, je n’ai plus jamais
volé. Pour le nombre ridicule de Breguet restants,
les aviateurs d’active étaient déjà en surnombre.
Mon statut d’appelé m’a fait reléguer à l’atelier de
préparation des bandes de munitions de
mitrailleuse, où j’intercalais entre les balles
normales des projectiles traçants et incendiaires.
Le GBA 18 s’est replié sur Briare le 16 mai,
rejoint par les Breguet du II/35 nouvellement