Magazine 2A Anciens Aérodromes - page 546

Association ‘’Anciens Aérodromes’’
Site Eolys- Aérodrome de Merville-Calonne LFQT
Rue de l’Epinette, 62136 LESTREM-France
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Conte de Noël
Conte de Noël, non pas vraiment, car l'histoire qui suit est véritablement arrivée au Capitaine Christian Keramoal,
en 1964, à l'époque où, dans le cadre des accords de l'OTAN, l'Armée de l'air française déployait des unités de
chasse en Allemagne et en Angleterre...
Sanglé dans mon Mirage III, je parcourus du regard la campagne allemande qui m’entourait, blanche de neige
et dure sous la lune. Nous étions le 24 décembre et moi j’étais un jeune pilote qui avait l’autorisation de rejoindre
sa famille en Angleterre. Je poussai la manette des gaz, le Mirage s’ébranla, puis s'éleva dans le ciel: Soixante-dix
minutes de vol. La routine...
A 27 000 pieds, je ramenai l’appareil à l’horizontale, direction Lakenheath A.F.B.. Les problèmes
commencèrent à ce moment-là. Le bourdonnement caractéristique de la radio dans mes écouteurs se tut.
J’enclenchai la radio de secours : silence total ! Pas de panique, je suis attendu, la tour de Lakenheath me recevra
bientôt sur son radar. Et c’est là que je vis l’aiguille du compas tourner lentement et indiquer des caps absurdes,
alors que je volais en ligne droite. Radio morte ! Système de navigation mort !
En école de chasse, on m’avait appris que l’important n’est pas de voler par beau temps, mais de savoir
voler dans une situation critique et de rester vivant. J’étais servi ! Tout d’abord, réduire les gaz pour augmenter le
rayon d’action. L’altimètre et le badin fonctionnaient : avec ça, on peut poser un avion ... à condition d’avoir une
piste ! Je volais depuis 43 mn. La solitude m’étreignait. Puis je me rendis compte qu’un nouvel ennemi rentrait en
lice: il n’y avait plus ni lumières, ni étoiles, ni mer, ni rien: rien qu'un épais brouillard. Que faire ? Continuer à
descendre ? Trop dangereux ! M’éjecter ? Je ne savais même plus si j’étais au-dessus de la terre ou de la mer, et
dehors, il faisait -30°.
Il me restait encore une ultime tentative : effectuer des petits triangles dans le ciel en espérant que des
contrôleurs seront intrigués par mon manège. Cette procédure figure dans nos manuels de survie. Dès que l’on est
repéré, un avion vole à votre secours et vous guide jusqu’à la piste la plus proche. Cet appareil est surnommé le
berger. Je volais depuis 50 mn, il me restait 30 mn de carburant. Je bouclai deux triangles. “Seigneur, je vous en
prie, sortez-moi de ce foutu pétrin ! Je volais maintenant depuis 72 minutes et je savais que personne ne viendrait:
ces salauds de contrôleurs buvaient le champagne et ne surveillaient pas leurs scopes ! La jauge de carburant
s’approchait de zéro. Dans deux minutes, je m’éjecterai de ce foutu piège et à Dieu vat ! J’engageai un dernier
triangle, lorsque j’aperçus une masse noire 200 pieds plus bas. C’était un avion : il volait moins vite que moi et
effectuait lui aussi un triangle : c’était mon berger! Je glissai vers lui et sortis les aérofreins, ramenant mon Mirage
à 280 noeuds. Arrivé à sa hauteur, je reconnus avec stupeur un Mosquito, un avion de la 2
ème
guerre mondiale qui
ne volait plus depuis longtemps! Et pourtant, son comportement ne me permit aucun doute: il s’agissait bien de
mon berger. A la lueur de la lune, je distinguai le pilote qui me faisait signe: “Suivez-moi, on descend”. Je répondis
oui par geste et on amorça la descente. J’admirai la silhouette du Mosquito: certainement un collectionneur farfelu!
Deux minutes plus tard, il me fit signe de sortir le train tout en continuant la descente, je le suivais à
quelques mètres sur la droite. Les lettres JK étaient peintes sur le fuselage noir. Ma jauge était bloquée sur zéro.
Nous naviguions dans une brume épaisse, la visibilité était nulle. Sur un signe de mon berger, je ralentis encore.
Soudain, il pointa son index vers moi, puis vers le sol. Je scrutai devant moi: des balises lumineuses, une piste :
j’étais sauvé ! Je posai mon avion, freinai, arrêtai mon piège en bout de piste, réacteur éteint. Sauvé! J’ouvris ma
verrière et sortis du cockpit, tandis que le Mosquito s’éloignait. Salut, vieux frère et merci !
Une Jeep s’arrêta à côté du Mirage. Un vieux Capitaine anglais en descendit: “ Bonsoir, je suis le Capitaine
Bradford. Vous avez eu une sacrée veine que j’ai entendu votre réacteur, sinon je n’aurais pas allumé les feux de
piste. Comment avez-vous trouvé cette piste ?", "- J’étais en panne électrique, un avion m’a guidé jusqu’ici.", "-
C’est incroyable, l’aérodrome est abandonné depuis 25 ans !", "- Comment ce n’est pas Lakeheath ?", "- Non, ici,
vous êtes à Minton. Nous voilà à l’ancien Mess des Officiers. Je vais vous trouver une chambre. Ensuite, on boira
un whisky pour vous retaper."
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